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Louis Vallée

De beaux mots de l"an 1900.Ils sont toujours d'actualité!

Voici un extrait d’un texte de Daniel Gélin qui servi de préface au catalogue de semences ‘’VILLEMORIN –ANDRIEUX de 1900. Plusieurs semences que ‘’Semences Nouveau Monde’’ vous offre maintenant était dans ce catalogue historique .C’est une référence dans le domaine. Bonne lecture………


Quel qu'il soit, l'homme a toujours eu besoin de lieux privilégiés

pour effectuer ses flâneries vagabondes. L'homme des villes s'en va

respirer l'air de la Beauté dans les musées, ou celui du Sacré dans les

églises. A moins qu'il ne se délecte du clapotis des vagues — lorsque

sa ville est située au bord de la mer — ou encore de la vue de l'eau

qui coule sous les ponts enjambant les rivières. Sans oublier les

jardins publics, squares, bibliothèques, cafés, rues ou autres lieux, les

uns discrets et silencieux, les autres bruissant de vie, où il ira

s'oxygéner au propre ou au figuré.

Les gens de la campagne, au nombre desquels on peut ajouter

tous les citadins des week-ends ou des vacances, ont l'embarras du

choix. Mais alors le végétal et parfois le minéral entrent en jeu:

vagabondages dans les sentiers, en terre cultivée ou sauvage, plaine

ou vallée, forêt où l'on peut se perdre, clairière où s'égaillent les

enfants et les bêtes apeurées ou familières. Je suis de cette sorte de

gens-là, et le jardin qui entoure ma maison, je le porte en moi, même

si j'en suis loin, comme un privilège accordé par la chance mais aussi

le travail et la volonté. Je m'y ressource, m'y repose et m'y

métamorphose, en me conduisant en jardinier passionné mais

paisible.

Mon jardin et moi avons besoin l'un de l'autre. J'ai besoin de

son allure, de ses qualités décoratives et nourricières. Nous

vieillissons ensemble; il me donne des leçons par le courage et la

patience de ses arbres, son dialogue avec les saisons qui deviennent

alors les nouvelles horloges d'un temps plus largement souple, et j'y

puise la philosophie de l'éternel renouvellement. Ce que j'appelle

encore vagabondages, malgré la présence de frontières et

délimitations, je peux les effectuer, suivant mon humeur, ou le besoin

de m'y livrer à quelques travaux. C'est lui alors qui me réclame. Je taille, soigne, tonds la

pelouse, ou simplement l'observe avec un peu plus d'attention, pour y

noter tout ce qui pourrait y apporter l'harmonie, II a conservé, malgré

un plan précis, un aspect sauvage, qui me convient bien et me fait

oublier les masques, les simulacres et tous les artifices que réclame

mon métier officiel.

Quels sont alors les lieux où je savoure avec plus

d'évidence, où parfois s'élabore ma méditation ou plus modestement

mon bonheur de vivre? Bien sûr, je suis heureux, me reposant sur un

coin de pelouse dont le vert augmente mon désir de paix, rêvant sur la

terrasse qui surplombe légèrement l'ensemble et où le soleil me

caresse de ses rayons, le long de mes parterres où, cerné de corolles,

de teintes chatoyantes, je conçois des bouquets qui seront, plus tard, à

l'intérieur du logis, des exquis chefs-d'oeuvre, preuves, messages,

résumés, illustrations de mon dialogue entre les fleurs et moi,

fraternel parce que porteur léger de l'Ephémère, dont je fais aussi

partie. Ce peut être un recoin où se tient un banc hospitalier, un sousbois

retiré où les oiseaux frémissent, volettent, font le bilan du jour ou

la glorification du soleil, J'y pressens souvent dans leur piaillement

des projets de migration. Mais le lieu qui m'attire le plus volontiers,

où je vais le plus fidèlement poursuivre des épousailles heureuses,

c'est le potager.

Aussitôt la porte de l'enclos ouverte, et derrière moi

refermée, une magie s'opère, faite de mille rêveries et de petits

bonheurs au ras de terre. La terre, très justement) sa présence, son

odeur, sa richesse agit sur moi directement, et c'est elle qui, à sa

façon, me remercie de mes soins attentifs et patients, en brandissant

les légumes débonnaires et où je décèle, comme en tout, non

seulement de la poésie, mais une simpliste et noble philosophie des

jardins.

Il y a quelques années,j'ai fait la connaissance d'un vieux paysan solide,

débordant de sagesse et de caractère, et qui avait l'air tout droit sorti

des pages de Marcel Aymé. Pendant une pause, il m'observa,

ironique, et un peu brutalement me jeta: «On m'a raconté que t'étais

jardinier, toi! C'est vrai?» Un peu impressionné par son ton et son aspect nettement plus rustique que le mien, je répondis: «Eh bien oui!

J'ai un jardin et je m'en occupe avec passion. — Ah oui? Eh ben on va

voir!

Je vais te poser une question et tu vas me répondre franchement,

on verra ben si t'es vraiment jardinier ! Est-ce que tu manges la soupe

de ton jardin?» Et c'est un peu fièrement et heureux de la justesse de

la question que je répondis: «Oui, je mange la soupe de mon jardin. »

II me tendit sa vieille main rugueuse, forte et parcheminée: «Alors

c'est vrai, t'es un vrai jardinier!»


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